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Vers une biographie en détails
Jacques Ferron naît à Louiseville, le 20 janvier
1921, dans le comté de Maskinongé qui
deviendra un des hauts lieux de sa géographie intime et
littéraire. Après la mort de sa mère, il vit surtout en
compagnie des femmes, auprès des Filles de Jésus du Jardin de
l'Enfance de Trois-Rivières. Il fait son cours classique au
Collège Brébeuf où il apprécie l'enseignement du père Robert
Bernier. Il se lie à Pierre Baillargeon, rencontre Pierre
Laporte et Pierre Elliott Trudeau. «Moraliste précoce et
précieux, timide, grand seigneur, aisément narquois», Ferron
écrit déjà «admirablement bien», se rappelle Pierre
Vadeboncoeur («Dix lettres de Jacques Ferron», Études
littéraires, p. 105).
A l'Université Laval, il
prête le serment d'Hippocrate et devient médecin: «ce sera
le médecin qui entretiendra l'écrivain. Je serai mon propre
mécène» (Gaspé-Mattempa, p. 43). Enrôlé dans
l'armée canadienne, il visite le Canada et se retrouve au
camp de Grande-Ligne «partagé entre les prisonniers
allemands et les bons Olds Vets qui les gardaient, neutre
comme un bon Québécois» (ibid., p. 10).
Délaissant une
carrière aisée à la ville, il s'installe pour deux ans à
Petite-Madeleine en Gaspésie. En 1949, il s'établit à Ville
Jacques-Cartier sur la Rive-Sud de Montréal, où il est
consterné par la situation linguistique, par la détérioration
du français qui se décompose au contact de l'anglais.
Dans les années qui suivent,
le militant pacifiste sympathise avec les idées socialistes, rencontre les opposants au régime
duplessiste et les futures têtes d'affiche du mouvement
indépendantiste. Par l'intermédiaire de sa soeur Marcelle
Ferron, il connaîtra aussi le groupe des Automatistes de
Paul-Émile Borduas.
Ses historiettes et ses lettres aux
journaux se multiplient, mêlent politique, histoire et
littérature.
Entre les petites gens qui visitent le médecin et la vie
publique de l'écrivain militant, une oeuvre prend forme
lentement.
Les célèbres contes
sont écrits durant cette période de réveil, de
transition, et montrent bien que Ferron fut «le dernier
d'une tradition orale, et le premier de la transcription écrite.» («Le
Mythe d'Antée» dans Escarmouches 2, p. 34.)
Écriture
prolifique, grandes oeuvres, genres multiples, critiques
favorables, prix littéraires, la décennie soixante reconnaît
et consacre l'écrivain Jacques Ferron. Mais entre l'auteur du Ciel
de Québec et le futur négociateur et démystificateur de la
crise d'Octobre, entre l'écrivain et l'homme public, chef du
Parti Rhinocéros, il y a une sorte de malentendu: «"Ah!
vous nous faites rire"», fait-il dire à ses lecteurs, et
«parce qu'ils riaient, j'ai eu droit à un laissez-passer
d'humoriste. Je m'en suis beaucoup servi pour aller à ma
guise.» («Faiseur de contes» dans ibid.,
p. 29)
Risque et ambiguïté de
l'engagement, bien sûr, mais aussi de l'ironie ferronienne
avec laquelle il imagina son «pays incertain». Paradoxe
d'autant plus significatif que cette reconnaissance quasi
unanime survient au moment où, après deux contrats
professionnnels dans des hôpitaux psychiatriques et une
crise personnelle assez grave, il comprit «que la politique
était secondaire et que primait le rapport du moi et des
autres.» (ibid.)
A partir de 1973, Ferron se
consacre à un grand livre sur la folie, le Pas de Gamelin
jamais complété d'où sortiront ses derniers livres et des
«contes d'adieu». On y retrouve la maîtrise du faiseur
de contes et l'incertitude emblématique du
mécréant: «Aurais-je vécu dans l'obsession d'un pays
perdu? Alors, Seigneur, je te le dis: que le Diable
m'emporte.» («Les Deux Lys» dans la Conférence
inachevée, p. 222) Jacques Ferron meurt le 22 avril 1985, à l'âge de
64 ans.
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